Développement limité d’une fonction en un point

Soit \( f \) une fonction de \(\mathbb{R}\) dans \(\mathbb{R}\) et \( x_0 \in \mathbb{R} \). On dit que \( f \) est définie au voisinage de \( x_0 \) si elle est définie sur un intervalle ouvert contenant \( x_0 \), éventuellement privé de \( x_0 \).

Définition du développement limité

Soit \( n \) un entier naturel et \( f \) une application définie au voisinage de \( 0 \). On dit que \( f \) admet un développement limité d’ordre \( n \) en \( 0 \) (noté \( DL_n(0) \)) s’il existe un polynôme \( P \in \mathbb{R}[X] \) de degré au plus \( n \), un voisinage \( V \) de \( 0 \) et une application \( \epsilon \) définie sur \( V \setminus \{0\} \) tels que :

\[ \forall x \in V \setminus \{0\}, \quad f(x) = P(x) + x^n \epsilon(x) \quad \text{et} \quad \lim_{x \to 0} \epsilon(x) = 0. \]

Le polynôme \( P \) est appelé la partie régulière du développement limité.

Remarques sur le développement limité

  1. La fonction \( R : x \mapsto x^n \epsilon(x) \) est appelée reste du développement limité d’ordre \( n \) en \( 0 \).
  2. Toute fonction polynomiale admet un développement limité à tout ordre en \( 0 \). Si \( f(x) = \sum_{k=0}^m a_k x^k \) avec \( m \geq n \), alors la partie régulière du développement limité d’ordre \( n \) est \( \sum_{k=0}^n a_k x^k \) et le reste est \( \sum_{k=n+1}^m a_k x^k \).
  3. Si \( f \) admet un développement limité d’ordre \( n \) dont la partie régulière est \( P \), alors pour tout \( \ell \leq n \), \( f \) admet un développement limité d’ordre \( \ell \) dont la partie régulière est obtenue en ne considérant que les monômes de degré au plus \( \ell \) de \( P \).
  4. Si \( f(x) = P(x) + o_0(x^{n+1}) \), alors \( f(x) = P(x) + o_0(x^n) \) et \( P \) est la partie régulière du développement limité d’ordre \( n \) de \( f \).

Unicité du développement limité

Si une fonction \( f \) admet un développement limité d’ordre \( n \) en \( 0 \), celui-ci est unique.

Démonstration : On utilise un raisonnement par l’absurde. Supposons que \( f \) admette deux développements limités distincts d’ordre \( n \) en \( 0 \). En procédant par différence, on aboutit à une contradiction, ce qui prouve l’unicité.

Développement limité et parité

Soit \( f \) une fonction admettant un développement limité d’ordre \( n \) en \( 0 \) de partie régulière \( P \).

  • Si \( f \) est paire, alors \( P \) est paire, c’est-à-dire que les coefficients des monômes de degré impair sont nuls.
  • Si \( f \) est impaire, alors \( P \) est impaire, c’est-à-dire que les coefficients des monômes de degré pair sont nuls.

Démonstration : Si \( f \) admet un développement limité d’ordre \( n \) en \( 0 \) de partie régulière \( P \), alors il existe un voisinage \( V \) de \( 0 \) et une application \( \epsilon \) définie sur \( V \setminus \{0\} \) tels que pour tout \( x \in V \setminus \{0\} \) :

\[ f(x) = P(x) + x^n \epsilon(x) \quad \text{et} \quad \lim_{x \to 0} \epsilon(x) = 0. \]

Puisque \( V \) est un voisinage de \( 0 \), il existe un réel \( \eta > 0 \) tel que l’intervalle ouvert \( I = ]-\eta, \eta[ \) soit inclus dans \( V \). Pour \( x \in I \setminus \{0\} \), on a :

\[ f(-x) = P(-x) + (-1)^n x^n e_2(-x) = P(-x) + x^n e_2(x), \]

où la fonction \( e_2 \) est définie sur \( I \) par \( e_2(x) = (-1)^n e(-x) \) et vérifie donc \( \lim_{x \to 0} e_2(x) = 0 \).

Si \( f \) est paire, alors pour tout \( x \in I \), on a \( f(-x) = f(x) \). Par unicité du développement limité d’ordre \( n \) en \( 0 \), on en déduit que \( P(-x) = P(x) \) pour tout \( x \in I \) (et par conséquent pour tout \( x \in \mathbb{R} \)). Autrement dit, la fonction polynomiale \( P \) est paire.

Si \( f \) est impaire, alors pour tout \( x \in I \), on a \( f(-x) = -f(x) \). Par unicité du développement limité d’ordre \( n \) en \( 0 \), on en déduit que \( P(-x) = -P(x) \) pour tout \( x \in I \) (et par conséquent pour tout \( x \in \mathbb{R} \)). Autrement dit, la fonction polynomiale \( P \) est impaire.

Proposition Pour qu’une fonction \( f \) admette un développement limité d’ordre 0 en 0, il faut et il suffit que \( f \) soit continue en 0 (ou prolongeable par continuité en 0). Dans ce cas, on a :

\[ f(x) = f(0) + o_0(1). \]

Pour qu’une fonction \( f \) admette un développement limité d’ordre 1 en 0, il faut et il suffit que \( f \) soit dérivable en 0. Dans ce cas, on a :

\[ f(x) = f(0) + x f'(0) + o_0(x). \]

Démonstration

On a les équivalences suivantes :

\[ \begin{aligned} f \text{ est continue en } 0 &\iff \lim_{x \to 0} (f(x) – f(0)) = 0 \\ &\iff f(x) – f(0) = o_0(1) \quad \text{au voisinage de } 0. \end{aligned} \]

On en déduit que si \( f \) est continue en 0 alors elle admet un développement limité d’ordre 0 en 0 de partie régulière \( f(0) \). Réciproquement, supposons que \( f \) admette un développement limité d’ordre 0 en 0. Il existe dans ce cas un voisinage \( V \) de 0, un polynôme \( P \) de degré au plus 0 et une application \( \epsilon \) définie sur \( V \setminus \{0\} \) tels que pour tout \( x \in V \setminus \{0\} \) :

\[ f(x) = P(x) + \epsilon(x) \quad \text{et} \quad \lim_{x \to 0} \epsilon(x) = 0. \]

Le polynôme \( P \) est de la forme \( P = f(0) + \alpha X \) avec \( \alpha \in \mathbb{R} \). On en déduit que :

\[ \frac{f(x) – f(0)}{x} = \alpha + \epsilon(x) \]

et par conséquent que :

\[ \lim_{x \to 0} \frac{f(x) – f(0)}{x} = \alpha. \]

Cela permet de conclure que \( f \) est dérivable en 0, de nombre dérivé \( \alpha \) en 0.

Remarques

  1. La proposition contient un abus de langage fréquent : la fonction \( f \) peut admettre un développement limité d’ordre \( n \) en 0 sans être définie en 0. On ne peut pas alors vraiment parler de la continuité de \( f \) en 0. Dans ce cas il faut lire : pour que \( f \) admette un développement limité d’ordre 0 en 0, il faut et il suffit que \( f \) soit prolongeable par continuité en 0. Pour ne pas alourdir inutilement les énoncés nous ferons systématiquement cet abus de langage, en précisant les choses si nécessaire.
  2. On déduit de la proposition qu’une fonction qui n’est pas continue en 0 n’admet de développement limité à aucun ordre en 0 (c’est le cas par exemple de la fonction \( x \mapsto \ln(|x|) \)).

Exemples

  1. Considérons l’application \( f \) définie sur \( \mathbb{R}^* \) par \( f(x) = x + x^3 \sin(1/x^2) \). Cette application admet un développement limité d’ordre 1 en 0 de partie régulière \( x \). En effet, l’encadrement :
\[ \forall x \in \mathbb{R}^*, \quad 0 \leqslant |x^2 \sin(1/x^2)| \leqslant x^2 \]

permet d’établir que \( \lim_{x \to 0} x^2 \sin(1/x^2) = 0 \) puis que :

\[ x^3 \sin(1/x^2) = o_0(x). \]

On a donc \( f(x) = x + o_0(x) \). D’après la proposition , la fonction \( f \) est prolongeable par continuité en 0 en posant \( f(0) = 0 \) et que ce prolongement est dérivable en 0 de dérivée \( f'(0) = 1 \).

  1. Considérons l’application \( f \) définie sur \( \mathbb{R}^* \) par \( f(x) = x^2 \ln(|x|) \). Cette application est prolongeable par continuité en 0 en posant \( f(0) = 0 \). Elle est dérivable en 0 de dérivée \( f'(0) = 0 \) puisque :
\[ \lim_{x \to 0} \frac{f(x) – f(0)}{x} = \lim_{x \to 0} x \ln(|x|) = 0. \]

Elle admet donc un développement limité d’ordre 1 en 0 de partie régulière nulle. Par contre, \( f \) n’admet pas de développement limité d’ordre 2 en 0 ; en effet, si \( f \) admettait un développement limité d’ordre 2 en 0, celui-ci serait de la forme \( ax^2 + x^2 \epsilon(x) \) avec \( a \in \mathbb{R} \) et \( \lim_{x \to 0} \epsilon(x) = 0 \). Or :

\[ \epsilon(x) = \frac{f(x) – ax^2}{x^2} = \ln(|x|) – a \]

et quelle que soit la valeur de \( a \), cette quantité ne tend pas vers 0 lorsque \( x \) tend vers 0.

Pour \( n \geqslant 2 \), une application peut admettre un développement limité d’ordre \( n \) en 0 sans être \( n \) fois dérivable en 0 comme le montre l’exemple suivant. L’application :

\[ f : x \in \mathbb{R} \mapsto \begin{cases} x + x^3 \sin(1/x^2) & \text{si } x \neq 0 \\ 0 & \text{si } x = 0 \end{cases} \]

est continue sur \( \mathbb{R} \), dérivable sur \( \mathbb{R}_* \), de dérivée l’application (à vérifier à titre d’exercice) :

\[ f’ : x \in \mathbb{R} \mapsto \begin{cases} 1 + 3x^2 \sin(1/x^2) – 2 \cos(1/x^2) & \text{si } x \neq 0 \\ 1 & \text{si } x = 0 \end{cases}. \]

L’application \( f \) admet un développement limité d’ordre 2 en 0 de partie régulière \( x \) (voir l’exemple précédent). Cependant \( f \) n’est pas deux fois dérivable en 0 car \( f’ \) n’est pas continue à l’origine (cela est dû au terme \( 2 \cos(1/x^2) \) qui n’a pas de limite quand \( x \) tend vers 0).

On peut se demander à quelle condition une fonction admet un développement limité d’ordre \( n \) en 0 pour \( n \geqslant 2 \). La réponse est donnée par le théorème de Taylor-Young. Ce théorème est également l’outil de base pour calculer un développement limité.