Définition de l’intégrabilité au sens de Riemann

Une application \( f \) définie sur \([a, b]\) est dite intégrable au sens de Riemann si pour tout réel \(\epsilon > 0\), il existe deux fonctions \(\phi_\epsilon\) et \(\psi_\epsilon\) en escalier sur \([a, b]\) telles que :

  1. \( \phi_\epsilon \leqslant f \leqslant \psi_\epsilon \);
  2. \( \int_a^b (\psi_\epsilon – \phi_\epsilon) < \epsilon \).

L’ensemble des fonctions intégrables au sens de Riemann sur \([a, b]\) est noté \( RI([a, b], \mathbb{R}) \).

Remarques importantes

  1. Les fonctions en escalier étant bornées, toute fonction intégrable sur \([a, b]\) est nécessairement bornée sur cet intervalle.
  2. L’ensemble \( RI([a, b], \mathbb{R}) \) constitue un sous-espace vectoriel de l’espace vectoriel \( \mathcal{A}([a, b], \mathbb{R}) \) des applications définies sur \([a, b]\).

Définition de l’intégrale d’une fonction intégrable au sens de Riemann

Soit \( f \) une application intégrable au sens de Riemann sur \([a, b]\). L’intégrale de \( f \) sur \([a, b]\) est le réel \( I(f) \) défini comme la borne supérieure de l’ensemble :

\[ A_-(f) = \left\{ \int_a^b \phi \mid \phi \in \mathcal{E}([a, b], \mathbb{R}), \; \phi \leqslant f \right\} \]

Ou, de manière équivalente, comme la borne inférieure de l’ensemble :

\[ A_+(f) = \left\{ \int_a^b \psi \mid \psi \in \mathcal{E}([a, b], \mathbb{R}), \; \psi \geqslant f \right\}. \]

Ce réel est noté \(\int_a^b f(t) \, dt\).

Remarque sur la notation de l’intégrale

Dans la notation \(\int_a^b f(t) \, dt\), la variable \( t \) est une « variable muette » et on peut également noter \(\int_a^b f(\zeta) \, d\zeta\) l’intégrale de \( f \) sur \([a, b]\). Cette notation exprime clairement par rapport à quelle variable, dont dépend la fonction \( f \), on intègre. C’est très utile lorsque \( f \) dépend de plusieurs paramètres.

Conventions pour les bornes d’intégration

  1. Par convention, si \( b < a \) et si \( f \) est Riemann-intégrable sur \([b, a]\), alors on pose \(\int_a^b f(t) \, dt = -\int_b^a f(t) \, dt\).
  2. On convient également que si \( a = b \), alors \(\int_a^b f(t) \, dt = 0\).

Principaux exemples de fonctions Riemann-intégrables

Toute application continue sur \([a, b]\) est intégrable au sens de Riemann sur \([a, b]\).

Définition des fonctions continues par morceaux

Une application \( f \) définie sur \([a, b]\) est dite continue par morceaux s’il existe une subdivision \(\sigma = (x_i)_{i \in \{0, \ldots, n\}}\) de l’intervalle \([a, b]\) telle que pour tout \( i \in \{0, \ldots, n-1\} \), l’application \( f \) est continue sur l’intervalle \([x_i, x_{i+1}]\) et admet une limite à droite en \( x_i \) et une limite à gauche en \( x_{i+1} \).

Proposition sur les fonctions continues par morceaux

Toute application continue par morceaux sur \([a, b]\) est intégrable au sens de Riemann sur \([a, b]\).

Remarque sur l’intégrabilité des fonctions

Même si l’ensemble des fonctions Riemann-intégrables semble vaste et inclut les fonctions habituellement manipulées, il ne faut pas croire que toute fonction est intégrable au sens de Riemann. Par exemple, considérons la fonction \( f \) définie sur \([a, b]\) par :

\[ f(x) = \begin{cases} 0 & \text{si } x \text{ est rationnel} \\ 1 & \text{si } x \text{ est irrationnel} \end{cases} \]

Cette fonction n’est pas Riemann-intégrable. Pour le démontrer, supposons par l’absurde que \( f \) est intégrable. Selon la définition, pour tout \(\epsilon > 0\), il existe deux fonctions en escalier \(\phi_\epsilon\) et \(\psi_\epsilon\) telles que :

\[ \forall x \in [a, b], \quad \phi_\epsilon(x) \leqslant f(x) \leqslant \psi_\epsilon(x) \quad \text{et} \quad \int_a^b (\psi_\epsilon – \phi_\epsilon) < \epsilon. \]

En prenant \(\epsilon = b – a\) et une subdivision adaptée aux fonctions \(\phi_\epsilon\) et \(\psi_\epsilon\), on trouve un nombre rationnel \(t_1\) et un nombre irrationnel \(t_2\) dans chaque sous-intervalle. Ainsi, \(\phi_\epsilon(x) \leqslant 0\) et \(\psi_\epsilon(x) \geqslant 1\), ce qui implique \(\psi_\epsilon – \phi_\epsilon \geqslant 1\). Cela conduit à une contradiction avec l’hypothèse d’intégrabilité.

Propriétés de l’intégrale de Riemann

Les propriétés suivantes sont admises pour les fonctions Riemann-intégrables sur \([a, b]\) :

  1. \( \left| \int_a^b f(t) \, dt \right| \leqslant \int_a^b |f(t)| \, dt \).
  2. Si \( f \) est positive, alors \(\int_a^b f(t) \, dt \geqslant 0\).
  3. Si \( f \leqslant g \), alors \(\int_a^b f(t) \, dt \leqslant \int_a^b g(t) \, dt\).
  4. Pour tout \( c \in [a, b] \), \( f \) est Riemann-intégrable sur \([a, c]\) et \([c, b]\) ; de plus, \(\int_a^b f(t) \, dt = \int_a^c f(t) \, dt + \int_c^b f(t) \, dt\) (relation de Chasles).
  5. Pour tous \((\alpha, \beta) \in \mathbb{R}^2\), la fonction \(\alpha f + \beta g\) est Riemann-intégrable sur \([a, b]\) et \(\int_a^b (\alpha f + \beta g)(t) \, dt = \alpha \int_a^b f(t) \, dt + \beta \int_a^b g(t) \, dt\).

Proposition sur les applications continues positives

Soit \( f \) une application continue sur \([a, b]\) et à valeurs positives. On a :

\[ \int_a^b f(t) \, dt = 0 \quad \Leftrightarrow \quad f = 0. \]

Sommes de Riemann

Soit \( f \) une application continue sur l’intervalle \([a, b]\) et \(\sigma = (x_i)_{i \in \{0, \ldots, n\}}\) une subdivision de \([a, b]\). Pour chaque intervalle \([x_i, x_{i+1}]\), on choisit un point \(\zeta_i\) et on note \(\zeta = (\zeta_i)_{i \in \{0, \ldots, n-1\}}\). La somme de Riemann associée à \( f \), \(\sigma\) et \(\zeta\) est définie par :

\[ S_{\sigma, \zeta}(f) = \sum_{i=0}^{n-1} (x_{i+1} – x_i) f(\zeta_i). \]

Théorème sur la limite des sommes de Riemann

Si \( f \) est une application continue sur \([a, b]\), alors :

\[ \lim_{n \to \infty} \frac{b-a}{n} \sum_{i=0}^{n-1} f\left(a + \frac{i}{n}(b-a)\right) = \int_a^b f(t) \, dt. \]

Démonstration du théorème

Pour démontrer que la suite \((S_n)_n\) de terme général \( S_n = \frac{b-a}{n} \sum_{i=0}^{n-1} f\left(a + \frac{i}{n}(b-a)\right) \) converge vers \(\ell = \int_a^b f(x) \, dx\), il suffit de montrer que pour tout \(\epsilon > 0\), il existe un entier \(N\) tel que pour tout \(n \geq N\), on ait \( |S_n – \ell| \leq \epsilon \).

Notons \( x_i^{(n)} = a + \frac{i}{n}(b-a) \) pour \( i \in \{0, \ldots, n\} \). Le terme \( S_n \) correspond à la somme de Riemann associée à la subdivision uniforme \(\sigma = (x_i^{(n)})_{i \in \{0, \ldots, n\}}\) avec \(\zeta = (x_i^{(n)})_{i \in \{0, \ldots, n-1\}}\). On a donc :

\[ S_n = \sum_{i=0}^{n-1} h^{(n)} f(x_i^{(n)}) = \sum_{i=0}^{n-1} \int_{x_i^{(n)}}^{x_{i+1}^{(n)}} f(x_i^{(n)}) \, dx. \]

Par ailleurs, d’après la relation de Chasles, on a :

\[ \ell = \int_a^b f(x) \, dx = \sum_{i=0}^{n-1} \int_{x_i^{(n)}}^{x_{i+1}^{(n)}} f(x) \, dx. \]

On en déduit que :

\[ |S_n – \ell| = \left| \sum_{i=0}^{n-1} \int_{x_i^{(n)}}^{x_{i+1}^{(n)}} (f(x_i^{(n)}) – f(x)) \, dx \right| \leq \sum_{i=0}^{n-1} \int_{x_i^{(n)}}^{x_{i+1}^{(n)}} |f(x_i^{(n)}) – f(x)| \, dx. \]

Comme \( f \) est continue sur \([a, b]\), elle est uniformément continue. Donc, pour tout \(\epsilon > 0\), il existe \(\eta > 0\) tel que pour tous \(x, y \in [a, b]\) vérifiant \(|x – y| \leq \eta\), on ait \(|f(x) – f(y)| \leq \frac{\epsilon}{b-a}\).

En prenant \( N = E\left(\frac{b-a}{\eta}\right) + 1 \), pour tout \( n \geq N \), on a \( h^{(n)} = \frac{1}{n}(b-a) \leq \eta \). Par conséquent, pour tout \( x \in [x_i^{(n)}, x_{i+1}^{(n)}] \), on a \( |f(x) – f(x_i^{(n)})| \leq \frac{\epsilon}{b-a} \). Ainsi :

\[ |S_n – \ell| \leq \sum_{i=0}^{n-1} \int_{x_i^{(n)}}^{x_{i+1}^{(n)}} \frac{\epsilon}{b-a} \, dx = \frac{\epsilon}{b-a} \sum_{i=0}^{n-1} h^{(n)} = \epsilon. \]

L’assertion est établie et le théorème est démontré.